RECOMMANDATIONS MUSICALES BRÉSILIENNES #1
Puisque j'y séjourne quelques mois, je me permets d'inonder vos oreilles avec des rythmes qui vous paraîtront familiers. En tout cas au début...
J’adore montrer cette carte qui recense les principaux styles musicaux pratiqués sur le continent sud-américain. Et soyons clairs : à part la lambada 🫣, le tango et la bossa-nova — qui n’est même pas sur la carte, c’est dire — peu d’entre nous y retrouveront leurs jeunes… Même la salsa, c’est un style bien particulier que je vous mets au défi d’identifier en l’entendant.
La plupart des styles que j’ai écoutés sont trop folkloriques et locaux pour que cela puisse accrocher l’oreille d’un Européen, sauf quelqu’un de très versé dans la musique ethnique. En tout cas, moi ça me parle pas. Donc je ne vous en parle pas non plus.
Soyons clairs, au départ j’ai eu du mal à sortir du sillon bossa-nova. Pour plusieurs raisons :
c’est ce que je connaissais déjà et donc j’ai creusé…
quand on m’a fait écouter d’autres trucs, c’était souvent plus compliqué à avaler.
Un exemple : on me dit « ah oui mais ici, aujourd’hui, le gros truc c’est le funk. » Ok, le funk. Pas de soucis, envoie, irmao. Sauf que le funk tel que vous et moi le connaissons n’a RIEN, mais alors rien à voir avec le funk brésilien. Dont voici un exemple que vous allez supporter 15 secondes.
On est d’accord ? C’est presque aussi pire que le reggaeton qui infeste l’Amérique latine.
Allez, les vieux, en route pour écouter des trucs de vieux (mais qu’est-ce qu’on est bien entre nous).
Difficile de passer à côté de CAETANO VELOSO. A 80 ans, il tourne encore et c’est l’une des plus grandes stars de la chanson brésilienne. Co-créateur du mouvement tropicaliste, il a eu une carrière éblouissante. J’ai choisi (un peu par facilité, car je ne connais pas toute son œuvre) de vous présenter un de ses derniers albums, réalisé en quatuor avec ses trois fils Moreno, Zeca et Tom. Les harmonies sont splendides entre ces quatre belles voix masculines, et ils alternent les classiques et les inédits. Baissez la lumière, allumez les bougies, servez-vous une cachaça et c’est parti pour le voyage. Album Ofertorio. Je rajoute, car il est canon, son premier album : Tropicalia
Comme c’est quand même lui le patron, on ne passera pas à côté de ANTONIO CARLOS JOBIM. Mais plutôt que de vous balancer un best of, Rodrigo m’a suggéré un album des années 70 qui commence par un hit mondial (aguas de março) mais qui s’aventure ensuite sur des terrains moins familiers, parfois même proches de la musique contemporaine. Bon, Tom Jobim n’est pas le meilleur chanteur du monde (d’autres l’ont chanté beaucoup mieux que lui-même) mais comme compositeur, il est sublime. Album Matita Perê
MARCOS VALLE est considéré comme l’une des stars de la seconde génération de la bossa nova. Il a notamment fait partie du mythique projet Brasil 66 de Sergio Mendes. Cet album, son 10e, date de 1973 et est considéré comme l’un de ses meilleurs. Musicalement, il est accompagné du groupe Azymuth, futures stars du jazz rock brésilien. La couverture, iconique, le montre immergé dans une piscine, en allusion à l'étouffement que la censure lui imposait, à lui et aux artistes de l'époque, ou encore à la torture des prisonniers politiques.
C’est ici l’occasion pour moi d’en remettre une couche avec le projet JAZZ IS DEAD puisque Marcos Valle est l’invité du volume 3 de ce fantastique projet animé par Adrian Younge et Ali Shaheed Muhammad, deux musiciens, DJ et producteurs californiens, qui mettent à l’honneur les grandes stars de la musique des années 70 en les invitant à enregistrer dans un contexte musical plus contemporain. Album Jazz is dead 3
Le disque qui suit est ultra-connu et c’est l’un de mes préférés — il est dans mon top 50, disons — mais pour les 4 ou 5 fines lames dans mon entourage qui ne l’ont pas encore entendu, j’aimerais qu’ils ne décèdent pas sans avoir écouté EUMIR DEODATO. Mondialement connu pour la reprise de Also sprach Zarathustra (le premier morceau de l’album), c’est l’un des maîtres des arrangements jazz-pop des années 70. Il était associé au fameux producteur Creed Taylor (CTI records), qui n’avait pas son pareil pour faire ronfler les George Benson, Ron Carter et autres Stanley Turrentine à l’époque. Deodato était le roi pour mixer jazz, pop et bossa-nova. Ses deux premiers albums sont des chefs d’œuvre. Albums Prelude, Album Deodato 2
Fun fact : à ma grande surprise, Henri Salvador est considéré ici comme l’un des inspirateurs de la bossa-nova. C’est sa chanson Dans mon île (1957) qui aurait influencé Antonio Carlos Jobim, considéré comme le principal compositeur de ce mouvement. Et effectivement, à réécouter cette beauté, on a du mal à croire que ce ne soit pas l’inverse (Salvador qui aurait beaucoup écouté la bossa-nova). Mais voilà, non en fait. Revoici d’ailleurs cette magnifique chanson reprise par Caetano Veloso.
Mon mélodiste brésilien préféré reste MILTON NASCIMENTO dont chaque composition me fait fondre tellement elle est belle et ingénieuse. Cet album de 1972 est souvent arrivé en tête des meilleurs albums brésiliens, toutes époques confondues. On y retrouve un certain nombre de ses thèmes fétiche, qu’il a rejoué sur d’autres albums par la suite. Album Clube da esquina
J’insiste sur Milton car c’est vraiment un tueur : le voici en duo avec Wayne Shorter qui vient de tirer sa révérence, quelle perte. Album Native Dancer
Et allez, un dernier pour la route, produit par le classieux Creed Taylor (du label CTI), la Rolls des productions rutilantes des années 70 à qui on doit les meilleurs George Benson, par exemple (et les deux Deodato dont je viens de parler). Album Courage
ALLEZ, ON CHANGE DE STYLE, Y A PAS QUE LA BOSSA-NOVA DANS LA VIE !
Quand les Rolling Stones sont venus jouer ici au Brésil en 1995, ils ont expressément demandé que ce soit RITA LEE qui fasse leur première partie. Surnommée La Reine du Rock ici, elle a une carrière de 50 ans derrière elle. Album Fruto Proibido
TIM MAIA est considéré comme le père de la soul brésilienne, mais il a également pratiqué le funk (dans le sens où vous et moi entendons le mot funk, cf le début de ce texte). Un mélange de Barry White et Isaac Hayes, disons… album Racional vol 1
OS TINCOAS est un groupe vocal avec des harmonies à la Bee Gees. Ils sont originaires de Bahia et étaient assez populaires dans les années 70. C’est juste à tomber par terre de beauté et c’est, me dit leur page Wikipedia, fortement influencé par la tradition candomblé de Bahia. Ça vous fait une belle jambe, pas vrai ? album Os Tincoas
Cet album est sans doute le moins authentiquement brésilien du lot, mais il est fameux. Dans les années 90, l’excellente serie RED HOT (dont les bénéfices étaient reversés à la recherche contre le VIH) a marié les genres : le jazz et la pop ou ici la musique brésilienne et la pop anglo-saxonne. C’est une flopée de stars, brésiliennes (celles citées ici) ou anglo-saxonnes (David Byrne, Sting, Incognito, George Michael…). C’est super bien, même si, comme vous l’avez compris, c’est du produit extrêmement frelaté. Mais on s’en fout. album Red Hot + Rio
Une reco de Brice : une session organisée par la marque de claviers NORD et qui permet à des jeunes musiciens de jazz brésiliens de nous en mettre plein les oreilles. Je ne connais aucun d’entre eux, c’est canon.
On termine pour cette fois avec un ovni. Le groupe s’appelle СОЮЗ mais ça se prononce Soyuz. C’est un trio bélarusse qui pratique une pop jazzy tout à fait délicieuse. Mais pourquoi me direz-vous, parler de СОЮЗ dans une newsletter dédiée au Brésil ? Eh bien tout simplement parce que cela ressemble à s’y méprendre à un disque pop brésilien des années 70. Cette excellente reco m’a été faite par Philippe que le Brésil entier remercie. Album force of the wind
Merci à Diego, Luca, Gerson, Philippe et Rodrigo, ils m’ont mis beaucoup de ces disques dans l’oreille. Il y aura une suite d’ici quelques semaines… Vos propres recommandations sont toujours accueillies avec plaisir et écoutées.